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Carve-out : comment motiver le management de l’activité détourée ?

29 Mar 2023 | Articles de presse, Le point de vue des experts

Le manager joue un rôle essentiel dans une opération de détourage. Son engagement participe à la réussite de l’opération et à la continuité de l’activité transférée.

Episode 4 de la série de quatre articles sur ce thème, rédigée par Isabelle Cheradame, Associée Corporate – Scotto Partners.

Pièce centrale du transfert d’activité, le top manager est clé non seulement dans la phase de détourage mais également dans la phase postérieure. Il ne faut pas sous-estimer l’impact d’une telle cession pour les salariés, a fortiori lorsque ceux-ci ont une longue et bonne relation avec leur actionnaire, et que l’avenir est incertain, l’acquéreur et donc le projet futur n’étant identifié que des mois plus tard. Pour lui permettre de s’impliquer dans l’opération de carve-out et se projeter au-delà de la cession, il convient de bien identifier et clarifier les enjeux personnels qui peuvent en résulter. Il est dans l’intérêt non seulement du vendeur mais également de l’acquéreur de traiter autant que possible les interrogations que les managers peuvent avoir et veiller à aligner leurs intérêts sur ceux des autres protagonistes.

Phase de détourage : valoriser l’implication du management

La phase de préparation de la cession constitue une étape clé du carve-out. Le management, de par son expertise de l’activité détourée, en est un acteur incontournable. Sa mission première est bien entendu de continuer à gérer la division et garder le cap malgré les incertitudes liées aux différents scenarios de reprise possibles. Par ailleurs, durant cette phase de détourage, il est étroitement impliqué à tous les stades de préparation de la cession, que ce soit en vue d’élaborer le business plan, d’identifier les différents actifs de la division, d’identifier les salariés à affecter à l’activité à détourer, de préparer la data room et l’info mémo, de participer aux expert sessions et Q&A, …., l’objectif étant de bien établir le périmètre de l’activité cédée, identifier les enjeux liés au détourage et les vecteurs de croissance, et donc optimiser la valorisation de la division.

Pendant cette période (qui peut durer de nombreux mois voire plus d’un an), le management supportera une charge de travail supplémentaire. Dans ce contexte, il est usuel de mettre en place un transaction-bonus, ou exit-bonus, avec les managers les plus impliqués dans le process, afin d’aligner leurs intérêts sur ceux de leur actionnaire vendeur. Fixe, variable, mixte : sa composition doit être étudiée au cas par cas, le pire étant de ne prévoir un bonus qu’au-delà d’un certain prix et de réaliser en cours de process que ce prix ne sera pas atteint. La bonne quantification du bonus est d’autant plus cruciale lorsque la division est cédée à un fonds d’investissement, lequel attend du management un investissement à ses côtés.

Sortie du groupe vendeur : rassurer le management sur les conséquences de son transfert

Toujours dans l’optique de rassurer et motiver les salariés de la division cédée, il est important d’identifier les conséquences de leur départ du groupe, et de les anticiper afin d’éviter toutes sources d’angoisse ou de frustration. Si le principe est a priori que le changement d’actionnaire ne doit pas impacter les conditions salariales des managers, il existe en pratique un certain nombre de sujets à appréhender. Il convient notamment d’analyser le sort des incentives long terme dont bénéficient les salariés d’un groupe, qu’il s’agisse de plans d’actions gratuites, stock-options ou autres LTIP (long term incentive plan). Ces incentives sont souvent perdus dans l’hypothèse d’un départ du groupe, y compris dans l’hypothèse où celui-ci est lié à la cession d’une division initiée par l’actionnaire. Il existe également des enjeux au titre de la rémunérations variable, du bénéfice des dispositifs de participation et d’intéressement, de retraite supplémentaire, ou d’autres avantages propres au groupe.

Ces éléments sont d’autant plus importants à appréhender et à traiter lorsque les managers identifiés comme clé pour la continuité de la division ne sont pas dans le périmètre de cession : en effet, en raison de ses compétences, le management est un actif essentiel du périmètre de la cession et l’acquéreur souhaitera s’assurer du transfert d’un certain nombre de managers avec l’activité. En général, ceux-ci sont juridiquement rattachés à la division cédée, leur transfert interviendra automatiquement avec la cession de la division que ce soit dans le cadre d’un asset deal (sous réserve que celui-ci caractérise le transfert d’une entité économique autonome) ou d’un share deal. Il arrive néanmoins souvent que certains salariés (à savoir certains managers ou fonctions supports essentiels) soient employés par une entité hors du périmètre cédé. Dans cette hypothèse, le transfert ne pourra se faire sans l’accord express du salarié.

Dans cette hypothèse, les managers auront à cœur d’identifier toutes les conséquences d’un tel transfert sur leur situation salariale. Dans le cadre d’un transfert du contrat de travail à une nouvelle entité juridique, il peut notamment y avoir des enjeux de conventions collectives applicables (et donc potentiellement de protection), de modification de juridiction de l’employeur (et partant des conséquences en termes de fiscalité et charges sociales). Tous ces éléments devront être clarifiés et négociés en amont d’un signing, afin d’éviter toute incertitude pour les salariés et pour l’acquéreur. Dans le cas du CEO, et selon le contexte de reprise (activité autonome sous LBO ou intégrée dans un nouveau groupe), il peut être nécessaire que son statut soit modifié et qu’il perde le bénéfice de son contrat de travail pour devenir mandataire social. Ici encore, il est crucial d’anticiper les implications juridiques, fiscales et sociales que cela entraîne, nécessitant des analyses particulièrement complexes en cas de situation crossborder, afin d’éviter tout blocage dans le processus de carve-out. L’identification d’une structuration alternative est d’autant plus complexe lorsqu’il convient de prendre en compte un éventuel investissement du dirigeant dans la prochaine opération.

Intégration dans un nouveau périmètre : clarifier les nouvelles conditions de collaboration

Afin de permettre au management de se projeter auprès de son nouvel actionnaire dans les meilleures conditions, l’élément clé est bien entendu de déterminer les opportunités et objectifs de développement de la division et de bâtir ou du moins ajuster ensemble le business plan. En parallèle de ce travail, il convient de clarifier les modalités de collaboration du management avec son nouvel actionnaire en particulier en termes de gouvernance. Les points de discussion divergent fortement selon qu’il s’agit d’une cession à un fonds d’investissement ou à un groupe industriel.

Opération de LBO et management package

Une opération de LBO est une fantastique opportunité pour la division de devenir « core business » et de bénéficier d’un soutien entier de son actionnaire, tant financier que stratégique, afin de permette à celle-ci de se développer. C’est également un changement de paradigmes très important pour le management. De salarié, il doit devenir entrepreneur, et doit gérer son groupe de façon totalement autonome et non dans le cadre d’un groupe lui apportant des prestations de support. Enfin, il doit veiller au développement de son groupe avec un objectif de rentabilité financière pour son actionnaire dans un temps imparti. Le gain d’autonomie est naturellement source de responsabilité accrue. Afin de développer l’esprit entrepreneurial et aligner les intérêts du management avec ses propres intérêts, les fonds d’investissement attendent non seulement du CEO mais aussi du reste de son équipe qu’ils investissent à leurs côtés dans l’opération de LBO. L’actionnaire financier met ainsi en place un « management package » structuré de façon à ce que le management puisse voir son investissement fructifier en cas de belles performances, en revanche celui-ci sera à risque en cas de mauvaises performances.

Dans une opération de LBO, laquelle constitue une véritable opportunité mais également une prise de risque pour le management, il est indispensable que celui-ci se fasse accompagner afin de bien négocier non seulement les éléments salariaux mais encore et de manière plus importante – les termes et conditions de son investissement. Les enjeux sont multiples, qu’il s‘agisse des aspects financiers (quantum d’investissement, possibilité de gains, critère de déclenchement du package), juridiques (gouvernance, droits et obligations des managers investisseurs minoritaires, conditions et conséquences d’un départ du groupe, ….) et fiscaux (traitement fiscal de l’investissement, structuration du package en cas d’opération crossborder et d’équipe de management internationale, ….). Le changement de paradigmes et de complexité d’un tel management package ne doit pas être sous-estimé et requiert un certain temps de préparation. Il est dès lors fondamental d’anticiper ce changement en amont du signing, afin de permettre une transition actionnariale et opérationnelle optimale.

Intégration dans un groupe industriel

Lorsque l’activité est reprise par un industriel, la mission du management sera d’assurer la poursuite de l’activité. Il pourra compter sur une structure et des compétences existantes. Son nouvel actionnaire pourra lui apporter une expertise complémentaire en matière de clients, R&D, de produits et services, et lui ouvrir des portes vers des activités connexes. Dans cette hypothèse, il s’agit de bien calibrer l’intégration d’une activité avec le reste du groupe, et non de parvenir à une parfaite autonomie de celle-ci. Les points de discussion avec l’acquéreur seront plus limités, la crainte principale pour le management de la division détourée étant le risque de redondance avec les équipes du repreneur. Dans ce cadre, il peut être pertinent de prévoir avec le vendeur, en amont de la cession, un renforcement des protections en cas de licenciement. Dans les discussions avec l’acquéreur, il sera important de valider les nouvelles règles de rémunération (fixe et variable annuelle et de plus long terme). Il est également utile de valider le champ et le contenu des clauses de non-concurrence ou d’exclusivité qui pourraient être insérées.

Si l’intégration dans un groupe industriel est source de synergie et qu’il emporte de ce fait un risque de redondance pour l’équipe intégrée (ou alternativement pour certains salariés du groupe repreneur), il peut également être source de développement exponentiel, en activant les leviers de croissance qu’offre le groupe acquéreur. Ainsi, une activité « non centrale » au sein du groupe vendeur peut devenir clé dans la stratégie de développement du nouvel acquéreur. Last but not least, il convient de noter que dans certains process de carve-out, et en cas de concurrence assidue avec des candidats issus du private equity, il arrive que le candidat industriel propose lui aussi la mise en place d’un management package afin de renforcer l’adhésion du management de la division détourée à son projet. Ici encore, cette proposition doit être revue en détail, sa structuration dans un groupe industriel sans horizon de sortie entrainant des implications particulières.

Isabelle Cheradame

Isabelle Cheradame

Associée Corporate

Scotto Partners

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